Les Chroniques de Phileas Frogg
Nouvelle rubrique sur Frigo&Co avec « Les chroniques de Phileas Frogg ». Sous ce nom vous trouverez… plusieurs noms ! Il s’agit d’amis français qui ont quitté nos belles contrées pour découvrir de nouveaux horizons culinaires (entre autres), ou plus simplement de tests de l’équipe locale lors de voyages (généralement bien mérités). Nous ferons le tour du monde en 80 plats, et même plus si nécessaire ! Et pour la première étape, nous posons nos valises à Tokyo.

La nostalgie de l’agent en poste à l’étranger se manifeste particulièrement lors des fêtes de fin d’année. Et si la magie d’internet permet désormais de se rassasier l’esprit à volonté depuis les contrées les plus reculées de la planète de Patrick Sébastien imitant Bourvil et du bêtisier de France 3 Régions comme si on était chez Mémé à la Bourboule, les papilles gustatives demandent elles aussi leurs récompenses saisonnières. C’est donc l’estomac en fête que votre serviteur a accepté la mission reçue du QG de Frigo&Co encryptée dans un commentaire sur le forum “Cholesterol R Us” et s’est dirigé vers les illuminations festives de la chic avenue d’Omote Sando à Tokyo pour arriver au tout nouveau et pour l’instant unique établissement de la chaine américaine Wendy’s de l’archipel nippon afin de s’y rassasier de sa ration de foie gras de fin d’année.

Après 2 ans d’absence suivant une première période de 30 ans de présence dans l’ombre de McDonald’s, Wendy’s revient au Japon avec de nouvelles ambitions, espérant attirer des consommateurs de plus en plus versés dans l’appréciation du burger gastronomique. Pour bien marquer les esprits de ses intentions, Wendy’s a mis dans sa carte un Foie Gras Rossini Burger, se taillant au passage une jolie couverture média aux Etats-Unis d’autant plus surpris que Wendy’s fait plutôt dans le tout-venant calorique back home que dans le raffinement culinaire sadique et décadent à la française, domaine habituellement réserve aux établissements tournés vers les 1% (comme l’extravagant Burger Bar du chef Hubert Keller à Las Vegas).

Malgré son emplacement stratégique à deux pas de chez Louis Vuitton, acteur clé du rayonnement du génie national auprès des lycéennes tokyoïtes, le restaurant lui-même ne paye pas de mine. Sobre sans être particulièrement chic a l’extérieur, propre (l’inverse serait dommage au bout de quinze jours) et bardé d’écrans plats en guise de posters et de menus à l’intérieur, avec l’habituel personnel courtois, efficace et mécanique standard de la restauration rapide japonaise, l’endroit ne diffère pas vraiment des McDonald’s, KFC ou Burger King dont il voudrait se distinguer. RAS sur ce point. Nous nous décidons donc pour l’option omochikaeri, à emporter, histoire de déguster au calme le fameux burger sans risque de se faire repérer. Nous décidons également que d’humbles frites, même natural cut, ne feraient pas justice a cette supposée cuisine d’élite et optons en guise d’accompagnement pour de plus sophistiquées pommes de terre entières farcies Truffle and Porcini pour l’une et Carbonara pour l’autre, et pour mettre un peu de verdure d’une Cobbs Salad de taille raisonnable. Deux burgers, deux pommes de terre et une salade nous allègent de l’équivalent de 40 euros. Fichtre. A titre de comparaison, l’actuel menu en édition limitée Grand Canyon Burger chez McDonald’s c’est 6 euros. Le foie gras a intérêt à être bon.

Une fois sortie du double sac en papier, le burger se présente dans une élégante boîte en carton fort marquée d’un “Premium Japan Burger” tentant de donner un parfum d’exclusivité à la chose. Il y a encore un emballage en papier sulfurisé à l’intérieur de la boîte, ce qui en fait la quatrième couche d’emballage entre le consommateur et sa proie. Wendy’s sait d’entrée s’adapter à la manie locale de tout suremballer. Une fois libéré de la paperasse, l’objet apparaît assemblé de façon un peu périlleuse, une crainte qui toutefois ne se vérifiera pas à l’usage. Etant un burger Wendy’s, le steak est bien carré et les oreilles façon Petit Beurre LU dépassent du pain rond, appelant la question : y a-t-il, comme pour le biscuit nantais, un protocole de dégustation à respecter ? Nous nous pencherons sur ce mystère une autre fois. Pour l’heure, la seule interrogation qui tienne est : y a-t-il vraiment du foie gras, et si oui, en quelle quantité ? L’ablation du bun supérieur, un pain brioché légèrement toasté et agréablement éloigné des cousins de Bob l’Eponge qui remplissent trop souvent le rôle, permet d’être fixé : il y a du foie gras, et ça n’est pas seulement symbolique. Deux belles rondelles dûment posées sur le steak et accompagnée d’une sauce demi-glace douceâtre mélangée à une noix de sauce béchamel vaguement truffée pour donner la touche finale à cette approximation de tournedos Rossini. C’est d’ailleurs, merveille de l’économie d’échelle industrielle moderne, exactement la même sauce que l’on retrouve, avec une bonne dose de champignons, dans la pomme de terre Truffle and Porcini (et sans doute dans le Truffle and Porcini Grilled Chicken Burger également à la carte mais pas testé). Sans surprise, le foie gras n’est pas entier ni n’a l’accent du Sud Ouest. C’est plutôt une mousse de foie gras, un peu pâteuse mais pas désagréable. On a connu bien pire. En fait de tournedos, la viande le goût de grillade typique dont s’honore Wendy’s mais ne vaut pas le maître du genre, le flame broiled Burger King. Et sous le patty c’est pur burger classique avec la triplette salade-oignon-tomate fraiche.

Tout le problème réside dans cette juxtaposition. La suavité fondante du foie gras dans sa sauce douce se retrouve en compétition avec le croquant végétal agressif de l’étage en dessous, et le steak haché cow boy au milieu ne sait pas vraiment ce qu’il fait là, regrettant son habituel cornichon et sa tranche de cheddar fondu familière. Pour que ça fonctionne, il faudrait un équilibriste d’exception dans le dosage et la préparation des ingrédients, qui pris séparément sont fort honorables. Ca n’est pas le cas, et le résultat s’en trouve un peu décevant, assemblage de goûts désordonnés qui ne réussissent pas la fusion attendue.

Au bout du compte, ce Foie Gras Rossini Burger japono-US bien intentionné est trahi par son exécution approximative. Cela serait néanmoins pardonnable s’il n’était le prix qui met presque le Premium Burger de Wendy’s en concurrence avec de vrais burgers sur assiette type Friday’s vis-à-vis desquels il s’avère trop primaire. Bien essayé, mais peut mieux faire.

Informations pratiques :
Site officiel Wendy’s



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